Le soleil était déjà haut dans le ciel, d’après Jojen, et pourtant, aucun d’entre eux ne pouvait l’apercevoir, aucun rayon ne parvenait à transpercer la sombre épaisseur des bois. L’atmosphère en était lugubre et monotone, et Bran, lui, en était morose. Toujours ces mêmes branches dénudées, si sombres qu’elles semblaient carbonisées. Toujours ces arbres morts, loin derrière et loin devant, à perte de vue, à n’en plus finir. Et cela depuis trois jours déjà. Cette maudite forêt lui semblait interminable, elle lui donnait la chair de poule. N’allaient-ils jamais en sortir, n’allaient-ils jamais voir d’autres paysages que cette nature morte ? Il avait l’impression d’étouffer, là, dans l’obscurité et l’humidité qui n’en finissait pas. Et sa lassitude laissait place, bien sûr, à la mélancolie. Il lui prît soudain l’envie, tout comme lui prenait autrefois l’envie d’escalader les murs pour se changer les idées, de se lier avec Eté, d’entrer en lui. Il mourrait d’envie de voir cette forêt avec d’autres yeux que les siens, de ressentir d’autres sensations, d’entendre de nouveaux sons.  

Il allait en soumettre l’idée lorsque Hodor se stoppa net, manquant de projeter Bran à l’avant de la carriole, lui coupant le souffle.

Hodor !  

Ce fût son cri d’alarme, et même s’il n’était pas très explicite, tous l’avaient compris. Bran échangea un regard interrogateur à Jojen, avant que ce dernier en échange un avec sa sœur.

« Il doit se passer quelque-chose. Eté pourrait aller voir de plus prêt.  »

Proposa Bran en désignant du regard le loup, sous-entendu : Je pourrais entrer dans l’esprit d’Eté pour aller voir ce qu’il se passe… Voilà comment joindre l’utile à l’agréable. Il allait pouvoir s’aérer l’esprit tout en prévenant ses camarades du danger, et il allait même pouvoir avoir un avant-goût d’aventure. Jojen et Meera échangèrent un second regard, avant de reporter leur attention sur le jeune Stark qui tentait de dissimuler son impatience. Sans réel succès puisque Jojen lui sourit, amusé.

Tu crois que je n’avais pas remarqué que tu observais Eté depuis un moment ? Vas-y, mais soit prudent.   

Bran sourit à son tour. Si beaucoup le félicitait pour sa franchise, il n’avait en conséquence jamais su mentir ou dissimuler ses sentiments, et encore moins à Jojen. Il hocha faiblement la tête et ferma les yeux sans perdre plus de temps. L’image d’Eté s’offrit instantanément à lui, et il se sentit soudain happé par l’arrière, ou peut-être par le haut, il n’avait jamais trop su. Comme s’il quittait lentement un rêve, les sons comme les sensations devinrent floues, il flottait.  Enfin, comme s’il plongeait puis refaisait surface, il s’insinua dans l’esprit et le corps du loup. Voilà, lui et Eté ne faisait plus qu’un. Tout était amplifié. Il sentait désormais à nouveau la terre humide sous lui, le fourmillement des muscles. Il pouvait apercevoir chaque détail au sol, guère plus haut néanmoins. Toutes couleurs étaient fades. Il discernait la vibration de chaque voix, de chaque mouvement, aucun son ne lui échappait. Il percevait son propre souffle, ses propres pas avec intensité. Très rapidement, tandis qu’il progressait, se mêlèrent aux odeurs des bois celle de la chair humaine, de la ferraille et du sang. Il s’élança en avant, sautant par-dessus tout obstacle, se faufilant entre les arbres. C’est presque s’il sentait le sol vibrer tandis qu’il foulait la terre, ses muscles puissants le poussant vers l’avant. L’odeur s’intensifia encore au bout de ce qu’il lui sembla seulement quelques mètres, et le choc du fer s’entrechoquant  lui vibra dans les oreilles. Il ralentit l’allure tandis qu’il entrevoyait des silhouettes floues. Tandis qu’il s’approchait à pas de loup, c’est le cas de le dire, elles se dessinaient peu à peu. Il s’immobilisa soudain, encore dissimulé parmi l’obscurité des bois et de ses branches sinueuses, tandis que le son aigu du métal frappé le contraignit à abaisser les oreilles.    

Bran avait vu juste,  il s’agissait bien d’un combat. Ils étaient 4 hommes, 2 étaient déjà à terre, inertes.  Au beau milieu de ce tumulte, une femme. Il n’avait jamais vu personne se battre de cette façon. Elle virevoltait, sautait, se cambrait, bondissait de nouveau. Elle semblait danser. Mais elle était seule contre 4... Le loup recula de quelque pas dans l'ombre des branches, se rendant soudain compte qu'on commençait à le remarquer. Il se détourna et s’élança en chemin inverse, plus vite encore qu’à l’aller.