« La sagesse sans la force n’est qu’une brise éphémère. Mais la force sans la sagesse, elle, engendre le chaos »
Il y a bien des légendes et des rumeurs qui courent en Westeros, mais parmi les nombreuses histoires qui se racontent autour d'une choppe, bien peu parlent de la lointaine contrée de Yi-Ti. Pourtant, par delà les vastes océans, au delà même des plaines sauvages où chevauchent les Dotharkis, s'étend une des plus vieilles civilisations de l'humanité... Et une de ses plus anciennes guerres aussi.
Car alors même que le Royaume des Sept Couronnes n'en était qu'à ses balbutiements, le royaume Yitish était déjà la scène de violents conflits. Pas un jour dans l'histoire du pays n'est vierge des affrontements opposant les innombrables seigneurs, désireux d'accroître leur influence ou d'attirer les faveurs du Dieu-Empereur. Sombres complots et coups d'état étaient le quotidien d'une culture qui s'est retrouvée obligée de se construire un code de conduite strict afin de ne pas être l'instrument de sa propre déchéance. L'honneur. Telle fut le précepte sur lequel se construisit peu à peu toute l'éducation de ce peuple aux coutumes étranges. La fierté supplanta la vie comme la plus précieuse possession des hommes de valeur et apporter la disgrâce sur son clan se mua en un châtiment pire que la mort. Des doctrines qui n’empêchèrent en rien de faire couler le sang, mais permirent au royaume de perdurer plus qu’aucun autre.
C’est dans ce contexte que naquit celui qui portrait un jour le nom de Take Yasu, un malheureux qui vit pourtant le jour sous le nom d’Ishikawa, premier fils du clan Nokan. Prince héritier, il fut élevé selon les traditions les plus strictes, instruit à l’art du sabre et à la spiritualité afin de devenir un jour le meneur d’hommes que l’on attendait de lui. Les Nokans n’étaient en aucune façon un clan puissant, guère plus qu’une faction perdue au milieu de la multitude de seigneuries divisant la contrée. Mais ils avaient pour eux de longues relations avec la famille royale et un domaine riche en métaux à partir desquelles leurs artisans fabriquaient certaines des armes les plus raffinées de leur temps. Il était dit que les katanas issus de leurs forges avaient été portés par des héros et même des empereurs, une richesse que plus d’un rival leur enviait. Les attaques étaient fréquentes et il était du devoir du seigneur que de brandir son épée pour la défense de ses gens. Une mission pour laquelle Ishikawa présentait d’indéniables dispositions. Il avait le cœur d’un guerrier et suffisamment de fougue pour s’élancer avec entrain sur les lignes ennemies. Il était la fierté des siens, et les siens étaient sa fierté.
Mais il ait des passions propres à la jeunesse que même la plus solide des éducations ne saurait éteindre. Ce que le samouraï possédait en force, le destin n’avait pas jugé bon de le lui offrir en sagesse. Il brûlait de l’envie d’amener gloire et fortune à son foyer et de s'inscrire ainsi dans la légende. Tant et si bien que lorsque le seigneur voisin, un rival ancestrale, leur déclara la guerre une fois de plus pour voler leurs terres, il eut la sottise de s’en réjouir. C’était à la fois l’opportunité d’obtenir une triomphe et d’étendre leur autorité en se débarrassant d’une épine qui ne les avait que trop blessé par le passé.
Son père désapprouvait son attitude va-t-en guerre. Il savait que l’expansion n’avait jamais été le but de ses ancêtres et que poursuivre un trésor que l’on ne peut garder n’était que vaine démence. Mais il eut beau inviter son fils à la retenue plutôt qu’à la violence, le jeune homme fit la sourde oreille à ses sages conseils. Lorsque la santé de son géniteur commença à défaillir et qu’il dut assumer le commandement, il se lança dans le conflit avec dans le cœur une flamme qui n’aurait point déçu le Seigneur de la Lumière et arracha plus d’une victoire… Tout en provoquant la mort de nombre des guerriers placés sous son commandement.
Déçu par les victimes que l'engouement de son fils avait provoquées, le chef de famille décida de l'assigner à la défense d'un avant-poste plus éloigné du cœur des conflits où il espérait qu'il apprendrait l'humilité. Une tâche qu'Ishikawa prit comme une terrible humiliation. Sa place était au devant des lignes, pas à surveiller un bastion mité dont tout le monde se moquait. Pourquoi était-il puni de la sorte ? N'avait-il pas toujours triomphé sur le champ de bataille ?! Dans son cœur, l'agacement se mua en doute, puis en ressentiment. Son père vieillissant ne cherchait-il pas simplement à conserver son autorité en empêchant à son héritier de l'éclipser ? Le vieillard était jaloux d'une jeunesse qu'il avait perdue et il cherchait sciemment à étouffer les succès de son propre fils !
Cela ne se passerait pas ainsi ! Ishikawa refusait de voir la victoire leur échapper pour satisfaire l’égo d’un homme trop aveugle pour réaliser qu’il était temps de passer le flambeau ! Il maniait le sabre mieux qu’aucun guerrier, le clan avait besoin de ses talents !
C’est alors que de bien intrigantes rumeurs parvinrent à ses oreilles. Son fidèle serviteur venait de lui rapporter des histoires parlant d’une faille dans les défenses de l’ennemi qui permettrait de pénétrer sa forteresse pour en ouvrir les portes avant le grand assaut. Voilà une providence qui ne pouvait qu’être dû à la bienveillance du Seigneur de la Lumière envers le jeune homme ! La bienveillante déité des flammes lui offrait l’occasion de regagner tout l’honneur que son aîné tentait de lui dérober !
Il n’y avait pas hésité. S’emparant de son katana, Ishikawa abandonna son poste pour se lancer avec ses quelques hommes dans une opération dont il n’imaginait pas alors les conséquences.
Car là où le vigoureux samouraï était censé trouver un tunnel secret, il ne rencontra que des buissons sans intérêts et une falaise dure comme le roc. Lorsqu’il se rendit compte qu’ils avaient été dupés, il était déjà trop tard. Un épais panache de fumée s’élevait dans le lointain, baignant le ciel nocturne d’une teinte pourprée. Non seulement il s’était déplacé pour rien, mais l’ennemi avait profité de sa désertion pour s’engouffrer par l’avant poste vide et frapper directement au cœur des terres des Nokans. En ce moment même, ils incendiaient leurs champs et pillaient leurs greniers.
Mais comment le clan rival était-il au courant de son abandon ? Et pourquoi cette rumeur lui était-elle parvenue à l’instant même ou ses nerfs à vifs le rendaient susceptibles d’y prêter l’oreille ?
-Trahison…. !
Mais il était trop tard. Beaucoup trop tard.
Car à peine le guerrier avait-il dégainé qu’une partie de ses hommes se révélèrent comme les traîtres qu’ils étaient. Ils tuèrent les autres et l’assommèrent, le laissant sombrer dans l’inconscience, la honte logée au creux de son estomac…
« Parfois, la mort est une douce délivrance face à la honte »
Lorsqu’Ishiwaka revint à lui, il était dans une cellule froide et humide, enchainé à même les murs. Ses ravisseurs lui expliquèrent que, malgré sa bêtise, son père était parvenu à repousser l’assaut. Désormais, le chef rival comptait utiliser le fils indigne comme monnaie d’échange.
Ils comptaient se servir de lui pour convaincre son géniteur de participer à un duel où seraient en jeu la destinée de ses terres et de son enfant héritier. Il était peu avisé de la part d’un chef de mettre ainsi dans la balance le sort de son peuple, mais tel était l’affection du Nokan pour sa progéniture désobéissante. Le jeune homme, lui, était accablé de honte, mais personne ne comptait le laisser mettre fin à ses jours. On le tortura, longuement, mais sans jamais le pousser dans ses derniers retranchements. S’il cru succomber plusieurs fois, jamais le malheureux n’eut droit au baiser libérateur de la Faucheuse pour se tirer de cet enfer. Mais le pire, ce n’était pas la douleur ni même la réalisation qu’il était l’unique responsable de ce désastre, mais l’odieuse terreur qui le prenait aux trippes à la pensée qu’il risquait fort d’y rester. Un vrai samouraï aurait affronté la mort avec panache, mais lui craignait le trépas comme un pleutre. Il avait fait le beau, mais se découvrait un lâche… Et il ne pouvait supporter sa propre couardise doublée d’arrogance.
Quand sonna le jour fatidique du duel entre les deux chefs de clans ennemis, Ishiwaka n’était déjà plus que l’ombre de lui-même. Les longues journées de supplice avaient émoussé son esprit et sa propre culpabilité avait fait le reste. Mais le regard déçu de son père fut sans doute le coup de grâce à son orgueil déjà mutilé.
Pourtant, pendant le combat à proprement parlé, il eut l’audace de reprendre espoir. Son père était un bretteur aguerri doublé d’un homme d’une grande sagesse. Il avait clairement l’avantage à chaque fois que les fers se croisaient et il sembla que le Seigneur de la Lumière lui accorderait la victoire. Mais Ishiwaka aurait du comprendre longtemps que les pratiques honorables de jadis avaient depuis longtemps été oublié. Alors qu’il était sur le point de triompher, une flèche vint transpercer le dos de son paternel qui tomba à genoux, juste assez longtemps pour voir le rictus moqueur de celui qui abattait sa lame sur sa nuque exposée. En un éclair, le sort de toute la famille Nokan fut scellé, tranché en même temps que la tête de son meneur.
Vaincu, privé de son dernier espoir et de tous ceux qui lui étaient chers, notre samouraï déshonoré fut ramené dans sa cellule pour servir de distraction à ses bourreaux. Au fond du trou, brisé, Ishiwaka adressa une ultime prière aux cieux au Seigneur de la Lumière. Une requête silencieuse dans laquelle brûlait le feu sacré de la colère, un courroux plus tranchant que l’acier de mille sabres : il abandonnerait son être au divin R’hollor en échange d’une ultime chance de faire payer à celui ayant imposé la souillure de la honte sur les siens.
Et il fut entendu. Par miséricorde ou afin de satisfaire un dessein plus grand encore, le Cœur Flamboyant répondit à la passion brûlante de son fidèle consumé par la culpabilité. A moins que ce ne soit son double habilement déguisé, trop heureux de mettre la main sur un nouvel avatar de la vengeance. A sa plus grande surprise, les plaies d’Ishikawa s’embrasèrent, son sang changé en un combustible surnaturel par la volonté divine. Il voulut hurler, mais se rendit compte que les flammes léchaient ses chaînes sans lui infliger la moindre douleur. Le métal se tordit sous la chaleur, jusqu’à ce que les maillons les plus faibles ne cèdent sous sa force, le libérant enfin de leur étau maudit.
Libre, Ishiwaka se glissa hors de sa cellule jusqu’aux quartiers où reposaient celui à qui il devait ses tourments. L’abject personnage avait conservé le sabre symbole des Nokan en guise de trophée. Emporté par la couleur, le samouraï s’empara de l’arme qui lui revenait de droit et la plongea dans le cœur de sa cible endormie…
« Celui qui pourchasse l’or doit prendre garde à ne devenir aveuglé par son éclat. »
Son crime accompli, le jeune homme comprit tout à coup qu’aucune satisfaction n’était venue combler le vide dans son cœur. Sa vengeance était accomplie, mais il n’en était guère heureux pour autant. En tuant un adversaire désarmé, il n’avait fait que prouver une fois de plus qu’il était indigne de porter le nom de sa noble lignée.
Dégoûté par sa propre soif de sang, le samouraï amateur s’enfuit au milieu de la nuit. Il ne faudrait pas longtemps avant que tous les clans environnants ne fassent de lui leur cible. Il laissait derrière lui ses terres natales, agonisantes par sa faute… et son nom.
Ishiwaka Nokan était mort le jour où il avait désobéit aux ordres de son seigneur et père. Désormais, il ne serait plus que Take Yasu, qui pourrait se traduire par le « Sans-nom ». Un titre synonyme de honte qui serait son fardeau jusqu’à ce qu’il ait remboursé sa dette non seulement envers le Seigneur de la Lumière, mais aussi envers lui même.
Déterminé à racheter ses fautes, Take entreprit un long voyage vers l’Ouest où il espérait commencer une nouvelle existence. Là bas, dans ces contrées lointaines et inconnues, peut être trouverait-il un moyen de regagner son honneur perdu et de mourir dignement pour rejoindre ses ancêtres la tête haute. Il n’avait sur lui que son sabre et son savoir faire… Mais un samouraï n’avait besoin de rien plus qu’un katana pour subsister.
Afin de payer la traversé et de parfaire ses talents, il vendit les services de son bras en tant que mercenaire à la Compagnie d’Or pendant plusieurs années. Au contact de ses guerriers, l’asiatique, qui faisait figure d’étrangeté dans leurs rangs, appris non seulement à contrer les techniques de combat de l’Ouest, mais aussi la langue commune parlée en Westeros… bien qu’il ne fut jamais capable de la lire ou encore de se débarrasser de son accent prononcé. Le quotidien d’épée à louer fut une expérience que Take qualifierait volontiers d’enrichissante. Les combats étaient assez nombreux pour satisfaire les désirs combattants de n’importe quel homme, la vie était simple et la paie suffisamment généreuse pour qu’il entretienne son équipement.
Mais ce n’était pas là le style de vie que le samouraï recherchait. L’honneur était étranger à ces hommes prêts à mourir, non pas pour la fierté, mais pour l’or. Les rêves et les ambitions du Yi-Tish leur paraissaient dangereux, si ce n’est totalement absurdes. Ils ne pouvaient comprendre le point de vue d’un homme qui ne vivait que pour trouver une mort digne de lui. C’est donc le cœur gros qu’il décida de laisser derrière lui ses compagnons pour retourner sur les routes, en quête d’une cause à même de lui rendre le droit de porter son nom.
Et aujourd’hui, le nouveau chapitre de sa vie commence.