Une histoire de glace et de feu

Voici mon histoire  

   

« Dis-moi Schlingue, qu’est-ce que tu penses de moi ? »
La chose baissa les yeux vers le sol, de toute évidence terrifié. Il n’y avait pas de bonne réponse à cette question, et pour l’homme qui parlait tout pouvait devenir un prétexte. Le sourire qui s’étalait sur le visage de Ramsay Bolton était contrebalancé par quelque chose de sombre dans sa voix. A quel point était-il sérieux, il aurait été difficile de le dire. « Shlingue, je t’ai posé une question. »
La voix était plus douce, trop douce. Il devait être sérieux.

Ramsay détaillait non sans un grand plaisir l’être terrifié qui se tenait devant lui. Si Schlingue n’était pas d’une taille inférieure à la sienne, il se tassait tellement dans sa crainte que le seigneur le dominait d’au moins une tête. Il posa une main qui aurait pu être amicale sur l’épaule de sa créature, et il sentit les muscles se contracter sous ses doigts. Les yeux gris pâle de l’écorcheur brillaient alors de jubilation. « Tu m’aimes n’est-ce pas Schlingue ? » L’ancien Fer-Né leva soudain son visage vers son bourreau et parla d’une voix bien trop vive, qui dessina sur les traits du tortionnaire une expression de satisfaction et de sarcasme mêlées. « Oui bien sûr Monseigneur. » Le toucher de sa main devint une lente caresse et il sentit un frisson qui parcourait le corps de son jouet. « Qui suis-je Schlingue ? » Le gardien du nord s’éloigna soudain de son compagnon, et alla s’asseoir à une table. « Le Seigneur de Winterfell, Gardien du Nord, Ramsay Bolton. » Il se servit une coupe de vin et la leva alors que ce qui avait été Theon Greyjoy, nettement moins sarcastique mais incroyablement satisfait. « Mais encore ? » Il posa le verre à ses lèvres, mais face à lui l’autre se liquéfiait de terreur, ne sachant plus quoi répondre. « Le véritable fils de Roose Bolt-… » Le verre fit un bruit terrible quand Ramsay le reposa tant et si bien qu’un instant il crut l’avoir brisé dans sa main. « ÉVIDEMMENT ! » La satisfaction à son tour était partie. Il n’attendait pas une confirmation qu’il était bien un Bolton. Chaque fois que sa condition de fils bâtard né du droit de cuissage de son père exercé sur une meunière après la condamnation de son mari lui était rappelée, Lord Bolton frémissait de rage. Ses années au moulin, où sa mère lui répétait que Roose Bolton était son père et où ce dernier n’envoyait que quelques pièces et des cochons, il voulait les oublier. L’ancien Schlingue, qui avait fait de lui l’homme qui était, qui l’avait initié ou suivi dans ses vices aussi.

Cela ne devait pas rester. Domeric et sa mort non plus. Que le premier héritier de Roose Bolton soit malencontreusement décédé si peu de temps après leur rencontre, on oubliera.

D’ici peu sa vie commencera à Fort-Terreur, entouré des gars du Bâtard, et on ne saura plus pourquoi ce nom. Et qu’il ait fallut des années à Roose Bolton pour le reconnaître. Oublié.

Oh il ne passerait certes pas pour un brave homme non plus, il le savait bien. Ses vices, les fameux, se faisaient connaître petit à petit. Sa passion pour les écorchements, ses chasses à l’homme. On n’oublierait sans doute Domeric, mais dieux et septons avaient pu assister au sort de Lady Donella Corbois, mariée, violée et laissée à la faim. Quelle joie, les cris d’agonie de celui qui se meurt de faim et que celle-ci rend fou. Ramsay attrapa un tissu et épongea le vin qu’il avait renversé dans son élan de colère. Il se resservit, lentement, retrouvant peu à peu sa contenance. Il affichait de nouveau une sorte de sourire quand il posa la coupe à ses lèvres. L’autre s’était écrasé contre le mur, et attendait le corps entier pris de spasmes. « Non Schlingue, je veux dire : qui suis-je pour toi ? »

« Monseigneur… »
Le brun leva sa main libre, arrêtant l’autre dans sa phrase. « Sais-tu que si mon épouse atteint son but, elle sera ta reine ? » Et lui… L’alliance comportait certes des failles, elle serait très mal vue par le Val, les Lannisters et même certains nordiques qui s’étaient battus contre les Fer-Nés si peu de temps avant. Mais voir sienne la femme qui pourrait tenir le Trône de Grès… Une épouse Bolton. Cela pouvait apporter à sa famille quelque chose qu’il n’avait encore jamais pu avoir, et cela n’était pas un acte de trahison aux yeux de la Couronne. Le mariage arrangé par Roose Bolton était aux jeux de pouvoirs une tentative quitte ou double qui selon l’attention qu’on y porterait pouvait être une décisive avancée ou une terrible chute. Fort heureusement, le chaos se déchainait, et les assassinats successifs de Joffrey Barathéon et Tywin Lannister, la disparition de Lord Tyrion Lannister et l’un des hommes du Conseil Restreint, la mauvaise position des Tully, la folie du Val Arryn étaient autant de choses pour importantes dont s’occuper pour tous. Restaient ceux qui demeuraient loyaux aux Starks, mais leur nombre se réduisait au fur et à mesure que ses croix d’écorchés fleurissaient. Oubliés eux aussi, bientôt.

Il détailla cet être qui avait été Theon Greyjoy. Il lui avait fait face, assis à cette même table, lui-même surnommé Reek, après avoir été fait prisonnier. Il était arrogant de s’attribuer la dévotion d’un homme que l’on n’a pas dressé, et il avait été usé de duper Theon Greyjoy. Ainsi était mort Theon Greyjoy. Ainsi était né Schlingue.

Ramsay jeta sur le sol le tissu imbibé de bain. « Jette-moi ça. Il ne faut pas que cela sente la vinasse, nous sommes en deuil. Mon père est mort. » Le soir de son mariage, quel tragique moment. Noleen Harloi était définitivement une femme intéressante. Un peu de patience… « Dis à mes hommes de trouver du gibier. Nous chassons ce soir. »