U
n corbeau gratta contre les fenêtres de la chambre, se faisant de plus en plus insistant. Une lettre était soigneusement roulée à une de ses pattes mais ne portait aucun ruban distinctif. Mon coeur se mit à battre plus fort et plus vite, car je n'attendais nulle réponse aujourd'hui. Le dicton "noires ailes, noires nouvelles" prenait tout son sens pour moi. Je m'installai à mon bureau, la chaise en bois grinçant inconfortablement contre le parquet nu. Dépliant avec douceur le papier salit par le voyage, je me mis à lire tant bien que mal l'écriture penchée et tremblotante de son auteur. Les lettres étaient dépourvues de toutes les fioritures dont s’embarrassent les nobles. Au fil de ma lecture, mon visage refléta diverses émotions comme l'ébahissement, la colère ainsi que du pragmatisme.
Ma correspondante était une femme on ne peut plus surprenante. Elle prétendait être une prophète, d'être capable de voir l'avenir, mon avenir. J'avais envie d'en rire, de lui dire qu'elle se moquait de moi et que cela pouvait lui attirer moult représailles mais je me souviens de chacune des prédictions de Maggy la Grenouille et elle aussi ne s'est jamais trompée. Cette femme est une puissante arme et elle ne s'en rend même pas compte, elle peut changer le cours du destin avec ses visions. Elle peut ainsi empêcher la mort de mes deux derniers enfants. Je serre les bords du bureau à m'en blanchir les jointures. Elle doit entrer à mon service, coûte que coûte et même si elle ne le souhaite pas ! Je m'emparai alors de ma plume rédigeant avec frénésie ma réponse. J'ose espérer qu'elle recevra ma réponse à temps.
"Chère Neenath,
La route qui mène à Port-Réal est bien longue et dangereuse en ces temps troublés, notamment pour une jeune femme aussi précieuse que vous. Au nom de la Mère, j'ose espérer que le reste de votre voyage se déroule sans encombre. Je me sentirai coupable si un pair abuse de Votre Gentillesse. Vous ressemblez par moment à une jeune femme que j'ai jadis prise sous mon aile, elle aussi était innocente et pure, à votre image même. Si par hasard vous arrivez en pleine nuit, n'attendez point une audience pour annoncer votre arrivée. Il suffira de glisser aux oreilles d'un garde votre nom pour qu'il vous conduise à votre suite dans le palais d'ores et déjà apprêtée pour vous recevoir. Cependant, nous pourrons discuter de ces formalités, un peu plus tard.
Évoquons plutôt cette douloureuse vision dont je suis le sujet principal. Elle est d'une telle acuité que je sens les pierres écorcher mes pieds et les insultes pleuvoir en même temps que les immondices. Si cette prédiction se réalise, la souillure partira-t-elle un jour ? Je l'ignore et cela me terrifie car cette punition dont vous m'avez vu victime n'est nulle autre qu'une marche d'expiation. C'est le moyen de contrôler les femmes qui aimeraient se libérer de l'emprise des hommes. En effet cette punition est réservée aux femmes dîtes pécheresses. Au nom de la religion, nous devons expier nos fautes en nous humiliant aux yeux de tous et toutes. Nous sommes alors un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Seulement je n'ai rien à expier. Je serai une victime comme les autres, et mes enfants seront alors plus en danger que jamais car cette marche de la honte me privera de tous les soutiens et de toute l'autorité que j'ai accumulé entant que Reine et maintenant régente. Cependant, je suis certaine qu'à nous deux nous démêlerons les fils du destin. C'est un maître bien cruel n'est-ce pas ? Enfin si je ne puis être sauvé alors sauvez-les eux car je ne suis coupable que d'avoir aimé. Neenath, êtes-vous amoureuse ? Vos yeux s'illumineront alors de paillettes étoilées, votre ventre papillonnera douloureusement sur les assauts du manque, de l'incertitude et vous comprendrez alors.
Mes sentiments les plus distingués,
Sa Majesté Cersei Lannister.
"
La lettre une fois soigneusement scellée et portant uniquement le nom de sa destinataire survolera autant de fois Westeros qu'il le faut jusqu'à lui parvenir.
J'espérai qu'elle ne tomberait pas entre de mauvaises mains comme celle de Stannis car cela confirmerait alors la rumeur que moi et Jaime formons un couple incestueux. En effet, les femmes pécheresses sont celle victimes du péché de la chair et l'inceste en est un, très peu toléré par la Foi au passage.